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Alfred Griot, dit Rosmer

(1885-1964)

Rosmer et Trotsky
A. Rosmer (à gauche de L. Trotsky) - Moscou,1919

Dans sa préface à la première édition de Moscou sous Lénine, Albert Camus écrivait : « Rosmer, en ces temps tortueux, a suivi la voie droite, à égale distance du désespoir qui finit par vouloir sa propre servitude et du découragement qui tolère la servitude d’autrui. C’est ainsi qu’il n’a rien renié de ce qu’il a toujours cru. »

Cette voie droite, Alfred Rosmer l’emprunta très jeune et ne s’en écarta pas. Alfred Griot, qui choisit pour nom de plume « Rosmer » emprunté à un personnage du dramaturge suédois Ibsen, naquit en 1877 aux Etats-Unis, où son père exerçait la profession d’artisan coiffeur. Rosmer avait huit ans lorsque son père décida de revenir en France pour y ouvrir un salon de coiffure à Montrouge, dans la banlieue parisienne.

Le jeune Rosmer passa par la suite un concours lui permettant de devenir employé aux écritures à la mairie de Paris, et s’engagea vite dans l’activité militante. Dans un premier temps, il s’intéressa aux idées anarchistes, puis se rapprocha du courant syndicaliste révolutionnaire, alors majoritaire au sein de la CGT. Il fut l’un des collaborateurs de la Vie ouvrière fondée en 1909 par Pierre Monatte. Rosmer fut chargé de la rubrique concernant l’international, car il parlait couramment l’anglais. Il se mit à l’apprentissage des langues, et en apprit plusieurs, notamment le russe et l’italien. Sa curiosité et sa culture étaient considérables, constamment au service de ses idées, sans aucune ambition de « carrière ».

Dans la tourmente qui accompagna la marche à la première guerre mondiale, puis lors de son déclenchement en 1914, Rosmer montra à quel point ses convictions étaient solidement enracinées. La déclaration de guerre avait en effet provoqué un véritable cataclysme au sein du mouvement ouvrier. Dans tous les pays belligérants, la majorité des dirigeants des partis socialistes, mais aussi les dirigeants anarchistes et syndicalistes, retournèrent leur veste, piétinant sans vergogne les déclarations contre la guerre qu’ils avaient faite quelques semaines, voire quelques jours auparavant, et se rangèrent derrière la fraction la plus va-t-en guerre dans chaque camp. Certains socialistes devinrent ministres, d’autres mirent, avec zèle, leur plume et leur réputation au service de la propagande belliciste. Bien peu résistèrent à la vague de chauvinisme qui submergea le mouvement ouvrier international. En France Alfred Rosmer fut de ceux-là avec le noyau de responsables de la Vie ouvrière, dont Pierre Monatte.

Pendant la guerre, il continua ses activités militantes, animant des petits groupes internationalistes, participant aux tentatives de regroupements, comme celui qui se créa après la conférence de Zimmerwald (septembre 1915). Ce fut à cette époque qu’il rencontra nombre de militants pacifistes ou révolutionnaires qui, eux aussi, avaient tenu face au chauvinisme et au nationalisme. Parmi eux, il y avait les militants russes Léon Trotsky et Martov, qui publiaient à Paris et en russe le journal Nache Slovo (Notre parole). De ces rencontres, naîtra une solide amitié entre Rosmer et Trotsky.

Après la révolution russe d’octobre 1917, c’est tout naturellement qu’Alfred Rosmer s’engagea dans le mouvement communiste. Il participa, en tant que délégué au second congrès de la Troisième internationale - l’Internationale communiste - qui se tint en Russie en juillet 1920, et fut élu à la direction de l’Internationale. Pendant dix-sept mois, il participa à ses travaux. Il y retourna également à plusieurs reprises entre 1922 et 1924.

A son retour en France, en octobre 1921, il adhéra au Parti communiste qui s’était constitué quelques mois plus tôt. Il en fut l’un des dirigeants, faisant partie de son aile gauche. Il fut, durant une courte période, à la direction de son quotidien l’Humanité. Mais le Parti communiste en France, tout comme les différents partis affiliés à l’Internationale communiste, subissait les répercussions de la main mise de la bureaucratie en URSS, sur la direction du Parti soviétique, puis sur celle de l’Internationale communiste et de L’Etat soviétique. En octobre 1924. Alfred Rosmer, Pierre Monatte et quelques-autres furent exclus du Bureau politique, puis du Parti communiste lui-même.

Dès lors, Rosmer mena le combat contre la dégénérescence qui gagnait à la fois le Parti communiste et l’Etat soviétique et qui allait aboutir à la victoire de Staline et de ses partisans. Il s’opposa sans relâche et sans défaillance au stalinisme qu’il considérait comme une perversion criminelle de l’idéal communiste. En 1925, il collabora à la création et à la rédaction de la revue de son ami Pierre Monatte, la Révolution Prolétarienne, qui se voulait hors de tout parti et regroupait des marxistes, des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes.

Partageant les idées de Trotsky et son analyse de la situation, il rejoignit son combat. Il fut à ses côtés, le soutenant pour affronter les embûches et les traquenards mis en place par Staline et ses hommes de main, l’aidant personnellement, lui et sa famille à de multiples reprises. Toutefois, s’il fut présent dans le mouvement trotskyste à la fin des années 20, il s’en tint à l’écart au milieu des années 1930. C’est ainsi qu’il mit, en 1938, à la disposition des partisans de la IVe Internationale sa maison de Perrigny, dans la région parisienne, pour permettre la réunion de la conférence qui décida de sa fondation. Mais il ne participa pas à cette réunion.

Pendant cette période, il s’attela à la rédaction d’une monumentale « Histoire du mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale » dont le premier tome vit le jour en 1935. En 1937, Alfred Rosmer participa activement aux travaux du comité mis en place aux USA pour rétablir la vérité sur les procès de Moscou, afin de mettre bas l’échafaudage de mensonges et de calomnies dressé contre Trotsky et ses partisans par la machine de propagande stalinienne. Trotsky avait choisi Rosmer comme tuteur de son petit-fils qui se trouvait en France. En 1939, Rosmer et sa compagne Marguerite amenèrent ce petit-fils à Mexico, rencontrèrent Trotsky quelque temps avant son assassinat, puis se rendirent aux Etats-Unis où ils furent contraints de séjourner pendant toute la guerre.

A son retour en France en 1946, Rosmer entreprit de mettre par écrit ses souvenirs de la période de sa vie qui va de 1919 à 1924, période durant laquelle il fut témoin et acteur, dans la mise en place et l’activité de l’Internationale communiste. Son témoignage « Moscou sous Lénine» parut en 1953, grâce à l’appui d’Albert Camus, après une difficile recherche d’éditeur. Le second tome de « l’histoire du mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale » fut édité en 1959. Quant au troisième tome, il ne fut jamais terminé : il ne fut qu’une ébauche, le temps et les circonstances ne lui ayant pas laisser le loisir de terminer cette œuvre.

Il poursuivit, par la parole et par la plume, son activité de dénonciation du stalinisme et des régimes staliniens. Il continua de collaborer avec son ami de toujours, Pierre Monatte. Dans le même temps, Rosmer, responsable de l’édition des ouvrages de Trotsky en France et en Europe, se démena pour trouver des éditeurs, relisant soigneusement les traductions, écrivant préfaces ou introductions, notamment pour « L’histoire de la révolution russe », « Terrorisme et communisme », « Journal d’exil »…

Il mourut en mai 1964, laissant derrière lui non seulement de précieux témoignages, mais l’exemple d’une vie entièrement au service du mouvement ouvrier.

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