1914 |
Irish Worker, 12 septembre 1914. Source : Contre la guerre 14-18, Anthologie, St�fanie Prezioso, La Dispute �diteur. |
[1] La � guerre en faveur des petites nationalit�s � se poursuit all�grement dans les journaux. La Russie, ce grand d�fenseur des races opprim�es, d�verse ses arm�es dans les territoires de l'est de la Prusse, offrant libert� et d�livrance � tout un chacun moyennant le fait qu'ils acceptent de prendre les armes pour son compte � sans d�lai excessif. Et c'est elle qui sera juge, apr�s-guerre, quant � savoir s'ils ont, ou n'ont pas, excessivement tard� � le faire.
Les socialistes russes ont publi� un vigoureux manifeste d�non�ant la guerre et d�versant leur m�pris sur les professions du tsar en faveur des races opprim�es, mettant en �vidence la suppression par celui-ci des libert�s de la Finlande, le martyre continu de la Pologne, ses tortures et massacres dans les provinces baltes et sa r�vocation des libert�s parlementaires accord�es, il y a peu, en Russie m�me. Et, en ajoutant � cela qu'en Pologne les nationalistes eux-m�mes ont mis en garde les Polonais contre le fait d'accorder un quelconque cr�dit �, un homme qui s'est montr� incapable de maintenir une parole solennellement donn�e � son propre peuple, on commencera � avoir une vue plus saine que celle que donne la presse mensong�re d'Irlande et d'Angleterre, en ce qui concerne la grande partie qui est en train de se jouer.
Bien s�r, cela ne devrait pas vous aveugler au sujet de la r�sistance splendide que m�ne le gouvernement britannique, nous assure-t-on, contre la brutalit� et les violences allemandes et en faveur des petites nationalit�s. Chaque journaliste anglais admet que le gouvernement russe est une tache naus�abonde sur la face de la civilisation. L'autre jour encore, lorsque la Douma russe a �t� supprim�e par la force et que nombre de ses �lus ont �t� emprisonn�s et condamn�s � l'exil, un ministre du cabinet britannique a d�clar� : � La Douma est morte, vive la Douma ! �
Cependant, tout cela est oubli� d�sormais et les gouvernements russes et britanniques se tiennent solidement au coude � coude pour d�fendre les petites nationalit�s, partout, sauf dans les pays sous domination russe et britannique.
Mais je crois me souvenir comment, ayant assassin� l'�me naissante du nationalisme parmi le peuple �gyptien, il a marqu� sa victoire par la pendaison sans merci � Denshawai de quelques paysans sans d�fense, qui avaient os� penser que leurs pigeons n'�taient pas faits pour le plaisir sportif des officiers britanniques.[2]
Je me rappelle aussi, si ma m�moire ne me joue pas d'�tranges tours, avoir lu l'histoire d'un grand nombre de petites nationalit�s en Inde, dont l'�volution vers une civilisation plus parfaite, en accord avec le g�nie propre de leur race, a �t� �cras�e sans merci dans le sang, dont les terres ont �t� vol�es, dont l'�ducation a �t� d�truite, dont les femmes ont �t� livr�es aux app�tits d�g�n�r�s de la soldatesque du Raj britannique.
Dans ma vision revient aussi la terrible m�moire de deux �tats que je cherche aujourd'hui en vain sur une carte. Je me rappelle que l'ami des petites nationalit�s leur a fait la guerre, une guerre d'agression sauvage commandit�e par des vampires de la finance. La Grande-Bretagne a envoy� ses troupes pour les subjuguer et les rayer de la carte, et bien qu'ils aient r�sist� jusqu'� ce que le Veld f�t rouge de sang britannique et boer, la fin de cette guerre a vu deux petites nationalit�s de moins au monde.
Quand je lis les tentatives de cette pr�cieuse presse irlandaise visant � faire monter un sentiment germanophobe en �voquant les violences allemandes surie front, je me demande si ceux qui avalent ces bobards se souviennent des faits concernant les exploits des g�n�raux britanniques en Afrique du Sud. Quand on nous raconte les horreurs de Louvain, alors que le seul dommage qui y a eu lieu est la cons�quence de tirs de civils sur les troupes allemandes provenant de b�timents que celles-ci ont �t�, en cons�quence, oblig�es d'attaquer, je me rappelle qu'en Afrique du Sud Lord Roberts avait �mis un ordre selon, lequel, apr�s toute attaque contre les chemins de fer dans sa ligne de communication, chaque maison ou ferme boer dans un rayon de dix milles devait �tre ras�e.
Quand on me parle des in�vitables morts civiles sur une ligne de front de 100 milles de long, dans un pays dens�ment peupl�, comme si elles formaient partie int�grante du plan de campagne allemand, je me souviens comment les Britanniques ont rafl� toute la population boer non combattante pour l'enfermer dans des camps de concentration et comment ils les y ont gard�s jusqu'� ce que les enfants en bas �ge meurent par milliers de fi�vres et de chol�ra ; au point que l'argument final ayant conduit les Boers � capituler a �t� la crainte qu'avec le taux de mortalit� infantile dans ces camps de concentration, il n'y aurait aucune nouvelle g�n�ration pour h�riter de cette r�publique pour laquelle combattaient leurs a�n�s.
Cette m�moire vicieuse et rebelle qui est la mienne revient aussi sur les tentatives r�centes de la Perse pour former un gouvernement constitutionnel et me rappelle comment, lorsque cette ancienne nation a bris� les cha�nes de son antique despotisme et s'est mise au travail pour �laborer les lois et les formes d'un �tat civilis� et repr�sentatif moderne, c'est la Russie qui, par un trait� solennel avec l'Angleterre, avait garanti son, ind�pendance, qui l'a imm�diatement envahi, massacrant tous Ses patriotes, pillant ses villes et villages, annexant une partie de son territoire et convertissant le reste en simple d�pendance de l'Empire russe. Je me rappelle comment alors, ce m�me Sir Edward Grey qui, aujourd'hui, s'�pand au sujet de la saintet� des trait�s a froidement refus� de s'en m�ler quand on lui demandait d'exiger de la Russie qu'elle honore son trait� garantissant l'ind�pendance de la Perse.
Oh oui... ce sont de grands combattants en faveur des petites nationalit�s et des grands d�fenseurs de la saintet� des trait�s ! Et la presse irlandaise partisane du Home Rule le sait, elle sait bien toutes ces choses, qu'un pauvre ouvrier comme moi se rappelle, elle les sait toutes, et elle est l�chement et coupablement silencieuse, en se mettant vicieusement et diaboliquement au service du mal.
Esp�rons que toute l'Irlande n'aura pas � payer un jour un prix terrible pour les attaques mensong�res de la presse du Home Rule contre la noble nation allemande.
Nous invitons nos lecteurs � encourager et � diffuser activement chaque journal, circulaire, tract ou manifeste qui, dans ces jours sombres, ose dire la v�rit�.
Ainsi, n�tre honneur pourra-t-il peut-�tre �tre sauv�, ainsi le monde apprendra-t-il peut-�tre que la presse du Home Rule n'est qu'un �gout servant � d�verser les immondices-britanniques sur les rivages de l'Irlande.
Traduit de l'anglais par Pierre Vanek.
Source: James Connolly, �The friends of small nationalities �, marxists.org (section anglaise).
Notes
[1] James Connolly (1868-1916), n� en �cosse, � �dimbourg, de parents pauvres, catholique, s'engage en 1882 dans un r�giment britannique stationn� � Dublin. En 1889, il pr�f�re d�serter plut�t que de partir outre-mer et s'installe avec son �pouse d�s 1890 � �dimbourg, o� il est engag� comme charretier. Il entre alors en contact avec les milieux marxistes de la ville et fr�quente la Scottish Socialist Federation. En 1892, il est nomm� secr�taire g�n�ral des sections d'�dimbourg de l'Ind�pendant Labour Party ; il quitte n�anmoins le parti de Keir Hardie et rejoint la Social Democratic Federation d�s 1894. Entre 1896 et 1907, il est permanent du club socialiste de Dublin, bient�t rebaptis� en Irish Socialist Republican Party, ISRP, dont il prend la direction. Entre 1903 et 1910, il �migre � New York et milite au sein de l'IWW (Industrial Workers of the World) et du Socialist Party of America d'Eugene Debs.
D�s 1913, rentr� en Irlande, il dirige le syndicat des transports (Irish Transport and General Workers Union) et r�organise le Social ist Party of Ireland fond� en 1908. Lorsque le conflit �clate, Connolly s'oppose vigoureusement � la � guerre imp�rialiste � ; il y voit n�anmoins l'occasion d'une r�volution contre la souverainet� britannique. En 1916, il sera l'un des promoteurs de l'insurrection de P�ques, �cras�e apr�s une semaine. Il est condamn� � mort et pass� par les armes le 12 mai 1916. Il demeure l'une des figures qui ont su affirmer, contre vents et mar�e le lien unissant les luttes pour l'�mancipation nationale au socialisme.
L'article para�t dans l'Irish Worker, journal dont il est un temps r�dacteur en chef et qui sera interdit en d�cembre 1914. (Pr�sentation dans l'�dition de La Rupture)
[2] James Connolly fait ici r�f�rence aux incidents qui prirent place en 1906 dans le village de Denshawai (Dinshaway en anglais) dans le Delta du Nil apr�s que des officiers britanniques eurent d�cid� de chasser par sport les pigeons, source de subsistance locale. Apr�s la mort d'un officier britannique, cinquante-deux villageois ont �t� inculp�s et condamn�s � des peines allant du fouet � la mort. (N.d.�).