1923 |
Cette lettre de Trotsky, fut publiée en 1923 dans le n° 270 de la Pravda, puis republiée en 1927 dans le Tome XXI de l'œuvre : «La culture de la période de transition» (1923-1926). |
Œuvres - novembre 1923
Lettre à une assemblée de femmes travailleuses à Moscou
Chers Camarades !
Je suis affligé au plus haut degré de ce qu'une fièvre aggravée ne me permette pas de participer à la séance solenelle consacrée au cinquième anniversaire, d'un travail juste et étendu de notre parti parmi les femmes. Permettez-moi de saluer, par écrit, les participants de cette séance, en la personne de ces travailleuses et paysannes, que le parti à déjà éveillé par le travail, et que demain il éveillera.
Le problème de l'émancipation matérielle et spirituelle des femmes est étroitement lié à celui de la transformation de la vie familliale. Il faut oter les barreaux des cages étroites et étouffantes, à l'intérieur desquelles la structure familliale actuelle coince la femme, transformant celle-ci en esclave, sinon en bête de somme. Cela ne peut être accompli que par l'organisation de l'alimentation publique et de l'éducation publique.
Cette voie ne sera pas courte : il faut des ressources matérielles ; une volonté ferme, la connaissance et des efforts seront aussi nécessaires.
Pour la transformation de la vie quotidienne deux voies s'ouvrent : l'une d'en bas, l'autre d'en haut. La voie «d'en bas» est celle de la combinaison des ressources et des efforts particuliers des familles. C'est la voie de la création d'unités familiales élargies, dotées de cuisines et de laveries collectives, etc. La voie «d'en haut» est celle de l'initiative d'Etat ou des soviets locaux à l'égard de la construction des logements ouvriers groupés et des restaurants, des laveries et des crèches communales. Dans un Etat ouvrier et paysan, il ne peut y avoir de contradiction entre ces deux voies ; au contraire l'une doit compléter l'autre. Les efforts de l'Etat ne mèneraient nulle part sans la lutte indépendante de la part des familles ouvrières pour une nouveau mode de vie. Néanmoins sans les conseils et l'aide des soviets locaux et des autorités de l'Etat, même les initiatives les plus énergiques de la part des familles ouvrières ne pourraient mener à des réussites importantes. Le travail doit se faire simultanément, d'en haut et d'en bas.
L'obstacle sur cette voie, comme sur d'autres, est celui du manque de ressources matérielles. Mais cela signifie seulement que le succès va prendre plus de temps qu'on aurait souhaité. Il serait tout à fait inadmissible de prendre la pauvreté comme prétexte et de balayer la question de la construction d'un nouveau type de vie. Il serait cependant tout à fait inadmissible si, en prenant prétexte de notre pauvreté, nous avions commencé à repousser la question de la construction d'un nouveau type de vie.
Malheureusement l'inertie et l'habitude constituent une force conséquente. Nulle part l'habitude aveugle et stupide, n'est plus forte que dans la vie quotidienne, sombre et fermée des familles. Et qui est en premier lieu appelé à lutter contre la situation barbare de la famille sinon la femme révolutionnaire ? Par cela je ne veux pas dire que des ouvriers conscients ne se fassent pas un devoir à travailler à la réorganisation des formes économiques de la vie familiale et tout d'abord de l'alimentation, de l'enseignement et de l'éducation des enfants. Mais ceux qui luttent le plus énergiquement et le plus conséquement pour le nouveau sont ceux qui souffrent le plus du vieux. Et dans la situation familiale actuelle celui qui souffre le plus est la femme — l'épouse et la mère.
C'est pour cela que la femme communiste prolétarienne — et, derrière elle, toute femme consciente doit consacrer une grande part de son activité et de ses forces à la tâche de la transformation de notre vie quotidienne. Si notre retard économique et culturel crée beaucoup de difficultés et nous permet seulement d'avancer lentement sur cette voie, il est pourtant nécessaire que la pression de l'opinion publique des femmes travailleuses fasse tout ce qui peut être fait, selon nos forces et nos ressources actuelles.
C'est seulement ainsi que nous pourrons ouvrir la porte du royaume du socialisme non seulement à la femme prolétarienne, mais aussi, après elle, à la paysanne la plus arriérée.
Je vous souhaite tout le succès dans votre travail.
Saluts communistes, votre L. Trotsky.
Pravda n° 270, 28 novembre 1923