1928
|
Un appel au VI° congrès de l'Internationale communiste.
Source : uvres, Janv.-Juil. 1928.
|
Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré
|
|
Appel des déportés à l'Internationale communiste
Léon Trotsky
13 janvier 1928
Nous soussignés, exclus des rangs du parti communiste de l'Union soviétique avant le XV° congrès de ce parti ou par décision
de ce congrès, avons estimé nécessaire de faire appel en temps utile de cette exclusion auprès de l'organe suprême du mouvement
communiste international, à savoir le VI° congrès
du l'Internationale communiste
. Cependant, sur ordre du G.P.U. (ou en partie sur résolution du comité central du parti), nous, vieux‑bolcheviks, sommes
exilés dans les régions les plus éloignées d'Union soviétique sans qu'aucune accusation soit portée contre nous, dans le but
unique d'empêcher notre liaison avec Moscou et les autres centres ouvriers, et, par conséquent, avec le VI° congrès mondial.
Nous estimons donc nécessaire, à la veille de notre départ forcé vers des régions lointaines de l'Union, d'adresser la déclaration
présente au présidium du comité exécutif de l'Internationale communiste, en le priant de le porter à la connaissance des comités
centraux de tous les partis communistes.
-
Le G.P.U. nous exile sur la base de l'article 58 du Code criminel, c'est‑à-dire pour « propagande ou agitation en faveur du renversement, de la sape ou de l'affaiblissement du pouvoir soviétique ou pour commettre
des actes individuels contre-révolutionnaires
».
Avec un calme dédain, nous rejetons la tentative d'appliquer cet article à des dizaines de bolcheviks‑léninistes qui ont beaucoup
fait pour établir, défendre et consolider le pouvoir soviétique dans le passé et, qui, à l'avenir aussi, consacreront toutes
leurs forces à défendre la dictature du prolétariat.
-
La déportation administrative de vieux militants, sur ordre administratif du G.P.U., est tout simplement un nouveau maillon
de la chaîne des événements qui ébranlent le P.C. soviétique. Ces événements auront une importance historique immense pour
une série d'années. Les divergences de vues actuelles sont parmi les plus importantes de celles que connut l’histoire du mouvement
révolutionnaire international. Il s'agit en substance de savoir comment ne pas mener à sa perte la dictature du prolétariat
qui fut conquise en octobre 1917. La lutte dans le P.C. de l'U.R.S.S. se déroule dans le dos de l'I.C. ; celle-ci n'y participe
pas, elle l'ignore même. Les documents principaux
de
l'Opposition consacrés aux grandes questions de notre époque continuent à être inconnus de l'Internationale communiste. Les
partis communistes sont toujours placés devant le fait accompli et ne font qu'apposer leur estampille sur des décisions adoptées
d'avance. Nous estimons qu'une telle situation est issue du régime absolument faux en vigueur dans le P.C. de l'U.R.S.S. et
dans l'I.C. tout entière.
-
L'âpreté exceptionnelle de la lutte au sein du parti, qui a amené notre exclusion de celui‑ci (et actuellement notre exil,
sans qu'aucun fait nouveau puisse être invoqué pour le motiver), trouve précisément sa cause dans notre aspiration à faire
connaître notre point de vue au parti et à l'I.C. Tant que Lénine était là, une telle activité était considérée comme normale
et logique Les discussions se développaient à cette époque sur la base de la publication et de l'examen intégral de tous les
documents concernant les questions litigieuses. Faute d'un tel
régime l'I.C. ne peut devenir ce qu'elle doit être. La lutte pour le pouvoir du prolétariat international contre la bourgeoisie,
extrêmement puissante, est encore entièrement devant lui. Cette lutte présuppose, du côté des partis communistes, une direction
forte, jouissant d'une autorité morale, et capable d'agir par elle-même. Une telle direction ne peut être créée qu'au cours
de nombreuses années, en sélectionnant les représentants les plus fermes, les plus aptes à déterminer leur action d'une façon
autonome, les plus conséquents, les plus vaillants de l'avant‑garde du prolétariat. Dans l'exécution de leur tâche, des fonctionnaires,
même les plus consciencieux, ne peuvent remplacer les guides de la Révolution. La victoire de la révolution prolétarienne
en Europe et dans le monde entier dépend, dans une très large mesure, de la solution du problème de la direction révolutionnaire.
Le régime intérieur de l'I.C. empêche de choisir et d'éduquer une pareille direction. Cela se manifeste surtout de façon éclatante
par l'attitude des partis communistes étrangers en présence des procédures internes du P.C. de l'U.R.S.S. dont le sort est
intimement lié au destin de l'I.C.
-
Nous, Oppositionnels, nous avons brisé les normes de la vie du parti. Pourquoi ? Parce que nous avons été dépouillés illégalement
de la possibilité d'exercer nos droits normaux de membres du parti. Pour porter notre point de vue à la connaissance du congrès,
nous avons été contraints de prendre sur nous d'utiliser une imprimerie d'État. Pour réfuter devant la classe ouvrière la
falsification de notre point de vue, et, en particulier, la vile calomnie relative à notre prétendue liaison avec un officier
de Wrangel [1]
et la contre‑révolution en général, nous avons arboré, à la manifestation du X° anniversaire, des pancartes portant les inscriptions
suivantes :
« Feu à droite, contre les Koulaks, les Nepmen et les Bureaucrates ! »
« Réalisons les dernières volontés de Lénine ! »
« Pour une véritable démocratie dans le Parti ! »
Ces mots d'ordre, incontestablement bolcheviques, furent déclarés non seulement hostiles au parti, mais contre‑révolutionnaires.
De nombreux signes montrent qu'il faut s'attendre également, dans l'avenir, à des tentatives de créer de toutes pièces de prétendus liens entre l'Opposition
et les organisations de gardes-blancs et de mencheviks
dont nous sommes plus éloignés que quiconque.
Pour forger un tel amalgame, point n'est besoin de donner de motifs, pas plus d'ailleurs que pour nous déporter.
-
Dans la déclaration que nous avons adressée au XV° congrès, signée des camarades Smilga
, Mouralov
, Rakovsky
et Radek
, nous avons annoncé notre soumission aux décisions du XV° congrès et notre détermination à cesser le travail fractionnel.
Néanmoins, on nous a exclus et l'on nous déporte à cause de nos opinions. Mais, par‑dessus tout, nous avons déclaré, et nous
répétons ici, que nous ne pouvons pas renoncer aux opinions exprimées dans nos thèses et dans notre plate‑forme, car le cours
des événements confirme leur justesse.
-
La théorie de la construction du socialisme dans un seul pays conduit inéluctablement à séparer le sort de l'U.R.S.S. de celui
de la révolution prolétarienne internationale dans son ensemble. Poser ainsi la question, c'est saper, dans le domaine théorique
et politique, les fondements même de l'internationalisme prolétarien. La lutte contre cette nouvelle théorie foncièrement
anti‑marxiste, inventée en 1925 ‑ c'est‑à‑dire notre lutte pour les intérêts fondamentaux de l'I.C.‑ c'est ce qui a amené
notre exclusion du parti et notre déportation administrative.
-
La révision du marxisme et du léninisme, dans la question fondamentale du caractère international de la révolution prolétarienne,
provient du fait que la période de 1923 à aujourd'hui a été marquée par de dures défaites de la révolution prolétarienne internationale
(1923 en Bulgarie et en Allemagne, 1925 en Estonie, 1926 en Angleterre, 1927 en Chine et en Autriche [2]
). Ces défaites ont créé à elles seules la possibilité de ce qu'on a nommé la stabilisation du capitalisme, car elles ont
consolidé provisoirement la situation de la bourgeoisie mondiale; par la pression renforcée de celle‑ci sur l’U.R.S.S., ces
défaites ont ralenti l'allure de l'édification socialiste; elles ont renforcé les positions de notre bourgeoisie à l'intérieur;
elles ont donné à celle‑ci la possibilité de se lier plus fortement à beaucoup d'éléments de l'appareil d'État soviétique;
elles ont accru la pression de cet appareil sur celui du parti, et elles ont conduit à l'affaiblissement de l'aile gauche
de notre parti. Au cours de ces mêmes années, il s'est produit en Europe une renaissance provisoire de la social-démocratie,
un affaiblissement provisoire des partis communistes, et un renforcement de l'aile droite à l'intérieur de ces derniers. L'Opposition
dans le P.C.R., en tant qu'aile gauche ouvrière, a subi des défaites en même temps que s'affaiblissaient les positions de
la révolution prolétarienne mondiale.
-
Si les partis de l'I.C. n'ont eu aucune possibilité d'apprécier exactement la signification historique de l'Opposition, la
bourgeoisie mondiale, en revanche, a déjà émis son jugement sans ambiguïté. Tous les journaux bourgeois plus ou moins sérieux,
dans tous les pays, considèrent l'Opposition du P.C.R. comme leur mortelle ennemie et envisagent au contraire la politique
de la majorité actuellement dirigeante comme une transition nécessaire à l'U.R.S.S. vers le monde « civilisé », c'est‑à‑dire
capitaliste.
Le présidium de l'I.C. devrait, selon nous, rassembler les opinions exprimées par les chefs politiques et par les organes
principaux de la bourgeoisie, en ce qui concerne la lutte intérieure du P.C.R., afin de permettre au VI° congrès la possibilité
de tirer les conclusions politiques nécessaires sur cette question primordiale.
-
L'issue et les leçons de la révolution chinoise, révolution qui constitue un des plus grands événements de l'histoire mondiale,
ont été tenus dans l'obscurité, écartés de la discussion, et n'ont pas été assimilés par l'opinion publique de l'avant‑garde
prolétarienne. En réalité, le comité central du P.C.R. a interdit la discussion des questions relatives à la révolution chinoise.
Mais, sans l'étude des fautes commises, fautes classiques de l'opportunisme, il est impossible de concevoir dans l'avenir
la préparation révolutionnaire des partis prolétariens d'Europe et d'Asie !
Indépendamment de la question de savoir sur qui retombe la responsabilité immédiate de la direction des événements de décembre
à Canton [3]
, ces événements fournissent un exemple frappant de putschisme lors du reflux de la vague révolutionnaire. Dans une période
révolutionnaire, une déviation vers l'opportunisme est souvent le résultat de défaites dont la cause immédiate réside dans
une direction opportuniste. L'Internationale communiste ne peut faire aucun nouveau pas en avant sans avoir tiré préalablement
les leçons de l'expérience de l'insurrection de Canton, en corrélation avec la marche d'ensemble de la révolution chinoise.
C'est là une des tâches essentielles du VI° congrès mondial. Les mesures de répression prises contre l'aile gauche, non seulement
ne répareront pas les fautes déjà commises, mais, ce qui est plus grave, n'apprendront rien à personne.
-
La contradiction la plus flagrante et la plus menaçante de la politique du P.C.U.S. et de l'I.C. tout entière est constituée
par le fait suivant : après quatre années de processus de stabilisation équivalant à un renforcement des tendances de droite
dans le mouvement ouvrier, le feu continue à être, comme auparavant, surtout dirigé contre la Gauche.
Dans la période qui vient de s'écouler, nous avons été témoins de fautes et de déviations opportunistes monstrueuses dans
les partis communistes d'Allemagne, d'Angleterre, de France, de Pologne, de Chine, etc. Entre‑temps, l'aile gauche de l'I.C.
a été l'objet d'un travail d'anéantissement qui se poursuit encore. Il est incontestable qu'actuellement les masses ouvrières
d'Europe s'orientent politiquement vers la gauche, en raison des contradictions inhérentes au processus de stabilisation.
Il est difficile de prédire à quelle allure se déroulera ce développement vers la gauche et quelle forme il prendra dans le
proche avenir. Mais la campagne permanente contre les éléments de gauche prépare, pour le moment où s'aggravera la situation
révolutionnaire, une nouvelle crise de direction semblable à celle que nous avons connue ces dernières années en Bulgarie,
en Allemagne, en Angleterre, en Pologne, en Chine, etc., etc. ! Peut‑on exiger que des révolutionnaires, des léninistes, des
bolcheviks, se taisent devant de telles perspectives ?
-
Nous n'estimons pas nécessaire de réfuter à nouveau l'affirmation absolument fausse que nous nierions le caractère prolétarien
de notre Etat, la possibilité de l'édification socialiste, ou même la nécessité de la défense inconditionnelle de la dictature
prolétarienne contre ses ennemis de classe de l'intérieur et de l'extérieur. Ce n'est pas là‑dessus que porte la discussion;
elle porte sur l'appréciation des dangers qui menacent la dictature du prolétariat, sur les méthodes pour combattre ces dangers,
et comment distinguer entre les véritables et faux amis, les véritables et faux ennemis.
Nous affirmons qu'au cours des dernières années, sous l'influence de causes intérieures et internationales, le rapport des
forces s'est modifié d'une manière défavorable pour le prolétariat; que la place tenue par lui dans l'économie, dans la vie
politique, économique et culturelle du pays, s'est amoindrie au lieu de grandir; nous affirmons que, dans le pays, les forces
de réaction thermidorienne se sont consolidées, et qu'en sous-estimant les dangers qui en découlent, ces dangers s'aggravent
dans une proportion extraordinaire. En chassant l'Opposition du
parti, l'appareil, inconsciemment, mais avec d'autant plus d'efficacité, rend service aux classes non prolétariennes qui ont
tendance à se renforcer et à se consolider aux dépens de la classe ouvrière. C'est de ce point de vue que nous nous plaçons
pour juger notre déportation, et nous ne doutons pas que dans un avenir prochain, l'avant‑garde du prolétariat mondial portera
sur cette question le même jugement que nous.
-
Les représailles contre les Oppositionnels coïncident avec une nouvelle aggravation des difficultés économiques sans
précédent dans les dernières années. La pénurie de produits industriels, la perturbation de la collecte des grains après trois
bonnes récoltes, la menace grandissante contre le système monétaire ‑ tout cela ralentit le développement des force productives,
affaiblit évidemment les éléments socialistes de l'économie et empêche d'améliorer les conditions de vie du prolétariat et
des paysans pauvres.
Dans les conditions d'une aggravation de la situation en ce qui concerne les biens de consommation sur le marché, les ouvriers
repoussent inévitablement les tentatives de réviser les conventions collectives dans le sens d'une baisse des salaires.
Le G.P.U. assure que ces échecs colossaux du cours qui prévaut actuellement relèvent de la responsabilité criminelle des Oppositionnels
exilés, dont le véritable crime a été de prédire à plusieurs reprises, au cours des dernières années, que toutes les difficultés
actuelles seraient l'inévitable conséquence d'un cours économique erroné, et d'avoir réclamé à temps un changement de ce cours.
-
La préparation du XV° congrès du parti ‑ convoqué après un intervalle d'un an et demi, en violation des statuts du parti ‑
a été elle-même une manifestation éclatante et grave de la violence croissante de l'appareil, s'appuyant de plus en plus sur
des mesures de répression gouvernementale. De son côté, sans délibération et en brusquant les débats, le XV° congrès a adopté
une résolution selon laquelle les congrès se réuniront dorénavant tous les deux ans.
Dans un pays de dictature prolétarienne, dont le parti communiste est l'expression, il est apparu nécessaire, dix ans après
la révolution d'Octobre, d'arracher au parti son droit élémentaire de contrôler, au moins une fois par an, l'activité de ses
organes et avant tout de son comité central.
Même dans les conditions les plus défavorables créées par la guerre civile et par la famine, les congrès se réunissaient parfois
deux fois par an, mais jamais moins d'une fois. Alors le parti délibérait et décidait réellement, sur toutes les questions,
ne cessant jamais d'être maître de son propre sort. Quelles forces contraignent donc maintenant à considérer les congrès comme
un mal
nécessaire qu'on cherche à réduire au minimum ?
Ces forces ne sont pas celles du prolétariat. Elles sont la résultante d'une pression étrangère à celui‑ci, exercée par son
avant‑garde. Cette pression a conduit à l'exclusion de l'Opposition et à la déportation des Vieux-bolcheviks en Sibérie et
dans d'autres pays perdus.
-
Nous repoussons l'accusation d'aspirer à créer un nouveau
parti. Nous disons par avance que les éléments d'un dit deuxième parti se rassemblent en réalité à l'insu des masses du pli
parti et avant tout de leur noyau prolétarien, au point de rencontre des éléments dégénérés de l'appareil du parti et de l'Etat
et des nouveaux propriétaires. Les pires représentants de la bureaucratie, munis ou non de la carte du parti, n'ayant absolument
rien de commun avec la révolution prolétarienne internationale, se groupent toujours davantage, créant ainsi des points d'appui
pour un deuxième parti qui commence à se dessiner et qui, au cours de son développement, peut devenir l'aile gauche des forces
thermidoriennes.
L'accusation selon laquelle, nous, les défenseurs de la ligne historique du bolchevisme, aspirerions à créer un deuxième parti,
sert en réalité inconsciemment à couvrir le profond travail souterrain des forces historiques hostiles au prolétariat. En
face de ces processus, nous mettons l'I.C. en garde; tôt ou tard, un jour viendra où ces processus seront évidents pour tous,
mais chaque jour perdu compromet incontestablement le succès de la résistance.
-
Il faut préparer le VI° congrès de l'I.C. selon les voies et moyens selon lesquels les congrès étaient préparés du temps de
Lénine : publier tous les documents principaux se rapportant aux questions litigieuses, en finir avec la persécution des communistes
coupables seulement d'avoir exercé leur droit de membres du parti; dans la discussion d'avant congrès, poser dans toute son
ampleur la question du rapport des forces à l'intérieur du P.C. R., ainsi que la question de la ligne politique suivie par
ce dernier.
Les questions litigieuses ne seront pas réglées par de nouvelles méthodes de répression. De telles mesures peuvent jouer un
grand rôle positif lorsqu'elles servent à soutenir une ligne politique juste et à liquider plus facilement les groupements
réactionnaires. En tant que bolcheviks, nous connaissons la valeur des mesures de répression révolutionnaires, et nous les
avons appliquées à plusieurs reprises contre la bourgeoisie et ses agents, les s.r. et les mencheviks.
Aussi ne pensons‑nous pas un seul instant à renoncer à ces mesures contre les ennemis du prolétariat. Mais nous nous souvenons
avec fermeté que la répression dirigée par les partis ennemis contre les bolcheviks est demeurée impuissante. En fin de compte,
c'est la politique juste qui est décisive.
Pour nous, soldats de la révolution, compagnons d'armes de Lénine, notre déportation est l'expression la plus claire des changements
dans le rapport des forces de classes dans ce pays et de la dérive opportuniste de la direction. En dépit de tout cela, nous
demeurons fermement convaincus que la base du pouvoir soviétique est encore le prolétariat. Il est encore possible, au moyen
d'un changement décisif dans la ligne de la direction, en corrigeant les erreurs déjà commises, par de profondes réformes,
sans un nouveau soulèvement révolutionnaire, de renforcer et de consolider le système de la dictature prolétarienne. Cette
possibilité peut devenir réalité si l'Internationale communiste intervient de façon décisive.
Nous en appelons à tous les partis communistes et au VI° congrès de l'Internationale, demandant avec instance l'examen de
toutes ces questions, ouvertement, et avec la participation de tous les membres du parti. Le Testament
de Lénine n'a jamais paru plus prophétique qu'en ce moment. Personne ne sait combien de temps le cours des événements historiques
va nous laisser pour corriger les erreurs qui ont été commises. Nous soumettant à la force, nous quittons nos postes dans
le parti et les soviets pour un exil absurde et futile. Ce faisant, nous ne doutons cependant pas une minute que chacun d'entre
nous et nous tous serons encore nécessaires au parti et qu'il aura besoin de nous, mais encore qu'à l'heure des grandes batailles
qui sont devant nous, nous retrouverons tous nos places dans les rangs combattants du parti.
C'est sur la base de tout ce qui vient d'être dit que nous demandons instamment au VI° congrès de l'Internationale communiste
de nous réintégrer dans le parti.
Signatures :
M
.
Alsky ‑ A. Beloborodov ‑ A. Ichtchenko - L. Trotsky ‑ K. Radek ‑ Kh. Rakovsky ‑ E. A. Préobrajensky ‑ I. N.
Smirnov
‑ L.
Sérébriakov
‑ I. Smilga - L
Sosnovsky
‑ N. I. Mouralov ‑ G. Valentinov - Nevelson-Man ‑ V. Eltsine ‑ V.
Vaganian
‑ V. Maliouta ‑ V.
Kasparova
‑S. Kavtaradzé ‑ Vilenskij (Sibiriakov).
Notes
[1]
Piotr N. Wrangel
(1878‑1928), général du tsar, avait été le dernier chef de l'armée blanche avec le soutien du gouvernement français en 1920.
L'épisode de « l'officier de Wrangel » s'était produit l'année précédente. Un individu prétendant se nommer Stroilov s'était
présenté aux dirigeants de l'Opposition qui cherchaient les moyens d'imprimer la plate‑forme de cette dernière. Le G.P.U.
« révéla » que Stroilov ‑ qui ne fut pas officiellement « retrouvé » ‑ était un
ancien officier de l'armée Wrangel. Mais l'Opposition démontre sans réplique que cet ancien officier de Wrangel était aussi
agent du G.P.U. en service.
Selon les services secrets polonais, Stroilov aurait été en réalité le célèbre Oupeninch, dit Opperput, l'homme qui noyauta
puis décapita les organisations d'émigrés blancs et construisit le Trust. (cf. P. Broué, « La Main-d’œuvre blanche de Staline
», Cahiers Léon Trotsky
n° 24).
[2]
Trotsky fait allusion ici à différentes défaites de l'I.C. ou du mouvement ouvrier, dans lesquelles la responsabilité des
dirigeants de Moscou était engagée différemment. En Allemagne, après s'être décidé très tard à admettre l'existence d’une
situation révolutionnaire, après avoir contribué à freiner les masses par une politique de « grand soir », l'I.C. avait sous‑estimé
l'ampleur du recul d'Octobre et de la renonciation à l'insurrection. En Bulgarie, elle avait fait préparer un putsch
qui fut réprimé dans le sang; la Lettonie fut aussi le théâtre d'une insurrection manquée en 1925; en 1926, la grève générale
britannique fut écrasée sans que le P.C. de l'U.R.S.S. ait jugé bon de rompre les relations au sein d'un comité syndical anglo‑russe
avec les dirigeants réformistes qui cautionnaient et avaient la responsabilité de cet écrasement; en Chine, Tchiang Kaï‑chek
avait massacré les communistes à partir du « coup de Shanghai » et les forces du gouvernement chrétien social de Vienne avaient
mitraillé en pleine capitale des manifestants ouvriers, faisant plus de trente morts.
[3]
Après avoir porté pendant des mois la responsabilité de la politique de soutien au Guomindang et d'alliance avec Tchiang Kaï‑chek,
et, après le début de la répression de celui-ci, après avoir continué cette politique avec ce qu'elle appelait « le Guomindang
de gauche », la direction Staline‑Boukharine
avait fait un brutal virage à gauche, sans doute dans la perspective du XV° congrès et pour étouffer les critiques de l'Opposition.
Une fois de plus, son « gauchisme » avait revêtu la forme du putschisme, les militants communistes, seuls, se soulevant le
11 décembre 1927 au nom d'un « soviet de Canton » désigné par l'appareil. L'insurrection, privée du soutien populaire par
sa conception même, ne dura que trois
jours mais fut suivie d'une répression féroce. Trotsky nuancera plus tard son appréciation, comme on le verra dans ce volume,
notamment dans sa correspondance avec Préobrajensky.