1939 |
Source Léon Trotsky, Œuvres 21, avril 1939 à septembre 1939. Institut Léon Trotsky, Paris 1986, pp. 163-166, titre : « La Situation en France ». |
Lettre au P.O.I.
Chers Camarades,
Dans une situation aussi critique que la présente, et j’envisage par là aussi bien la situation objective que la situation dans votre organisation, les demi-mesures sont fatales. Il faut se décider pour une voie ou pour une autre, mais ne pas rester dans l’équivoque. Vous vous souvenez peut-être qu’au mois de septembre j’étais plutôt contre l’entrée dans le P.S.O.P. Quelles étaient mes raisons ?
1) J’imaginais que la composition sociale du P.S.O.P. était bien pire qu’elle ne l’était ;
2) Je ne m’imaginais pas, et de loin, que la situation du P.O.I. était aussi mauvaise qu’elle l’était ;
3) La France passait par un des moments les plus critiques et on pouvait craindre qu’au moment du déclenchement de la guerre notre organisation soit paralysée.
Cette appréciation de la situation s’est avérée incomplète, unilatérale et même fausse. Votre activité depuis le dernier congrès et la scission ne laisse entrevoir aucune perspective.
Vous voulez simplement continuer à publier La Lutte, c’est-à-dire faire le simulacre de la continuité de l’action du parti. Vous voulez, il est vrai, faire entrer vos « forces essentielles » dans le P.S.O.P. en invitant Rous et ses camarades à « coordonner » leur activité à la nôtre [*]. Jusqu’aujourd’hui la divergence a paru se limiter à la question de l’entrée. Maintenant que vous vous décidez pour l’entrée des « forces essentielles », vous parlez de la « coordination », c’est-à-dire que vous voulez maintenir la scission à l’intérieur du P.S.O.P. Quelles en sont les raisons politiques? Vous ne les indiquez pas, en tout cas.
Vous voulez en même temps maintenir un noyau en dehors du P.S.O.P. avec La Lutte et IVe Internationale. En d’autres termes, vous voulez qu’à part la fraction des B.L. dans le P.S.O.P. inspirée directement par le S.I., il y ait une autre fraction inspirée par le noyau qui va publier La Lutte et IVe Internationale. Vous voulez ainsi non seulement maintenir la scission des deux groupes B.L. à l’intérieur du P.S.O.P., mais aussi votre antagonisme avec le S.I. Quelles sont les raisons politiques ? Le conflit a eu pour origine la question de l’entrée, le S.I. étant dans sa majorité contre vous. Quelles sont vos divergences avec le S.I. actuellement? Vous n’en dites rien.
Quand le P.O.I. était une organisation une et indépendante, il s’est avéré incapable de publier régulièrement le journal et la revue. Comment voulez-vous arriver à les publier après la scission et après l’entrée de vos « forces essentielles » dans le P.S.O.P. ? Croyez-vous obtenir des cotisations des membres du P.S.O.P. pour vos publications? Mais c’est impossible à tous points de vue. D’autre part, vous ne pouvez naturellement croire que les camarades américains vont subventionner un petit noyau isolé, pratiquement indépendant de toute organisation, y compris le S.I. Les camarades américains ont voulu et veulent vous aider à sortir de la stagnation. Ils ont fait à cet effet un effort exceptionnel. Mais je doute beaucoup qu’ils soient prêts à subventionner l’existence d’un noyau problématique qui n’aurait d’autre sens que de maintenir la firme.
Camarades, vous avez perdu trop de temps ! Le fait que la clique de Molinier se soit emparé de la jeunesse du P.S.O.P. est le résultat de ce retard. Il ne s’agit plus de tergiverser. Il faut une décision radicale. Il faut que le P.O.I. tout entier entre dans le P.S.O.P., à l’exception peut-être de deux ou trois camarades qui sont nécessaires pour le travail du S.I. et qui seraient, je le crains, difficilement acceptés par le P.S.O.P.
Alors, peut-on objecter, la IVe Internationale restera, en ce moment critique, sans publication en langue française ? Vous savez que notre section américaine est effectivement restée pour un certain temps sans aucun organisme propre, et néanmoins elle est sortie de cette situation difficile renforcée et mûrie. Mais je ne crois pas que nous devions rester sans aucune publication de langue française. La fraction B.L. au sein du P.S.O.P. a entrepris la publication de sa revue. Pourquoi ne pourrait-elle pas être la tribune de la fraction unie des B.L. ? C’est la seule possibilité d’avoir un organe qui exprime vraiment l’expérience des B.L. dans le P.S.O.P., c’est-à-dire soit un instrument d’action politique et non l’expression d’idées individuelles de quelque petit noyau, affranchi en fait de tout contrôle national et international. Il s’agirait seulement d’assurer une composition adéquate de la rédaction de cette revue intérieure.
D’autre part, nos camarades américains envisagent la publication d’une revue mensuelle ou bi-mensuelle sous l’égide du S.I. pour les besoins de tous les pays de langue française, en premier lieu naturellement la France. La rédaction de cette revue devrait comprendre un ou deux camarades du P.O.I. qui n’entreraient pas dans le P.S.O.P. pour les raisons indiquées plus haut, un représentant du comité central belge, peut-être un ou deux représentants d’autres pays latins qui n’ont pas d’organe propre. Il s’agit en somme d’un organe de la IVe Internationale dont l’une des tâches serait d’aider les B.L. au sein du P.S.O.P. Les camarades américains, comme je le vois de lettres reçues de New York, seraient tout à fait prêts à assurer l’existence d’une telle revue. Selon mon opinion, elle devrait paraître deux fois par mois et avoir un contenu beaucoup plus riche et beaucoup plus ample que IVe Internationale. La discussion entre B.L., en particulier entre les différentes tendances ou nuances françaises, ne serait nullement exclue, mais dans le cadre d’un travail commun dans le P.S.O.P. et sous la direction du S.I.
Telles sont les propositions adoptées dans le comité national de notre section américaine. Pour ma part, j’appuie entièrement ces propositions. Je propose au S.I. de les adopter, non comme des propositions (ce procédé est épuisé), mais comme une décision ferme et catégorique. Je fais un appel spécial au comité central de notre section belge pour qu’il soutienne l’initiative de nos camarades américains avec toute l’énergie nécessaire. D’ailleurs, un organe théorique avec la participation directe de la section belge aurait les plus grands avantages pour celle-ci.
Il ne s’agit pas actuellement de chercher les « responsabilités » de la stagnation du P.O.I. Il s’agit seulement d'en sortir. Tous les membres du P.O.I. ont besoin d’un nouveau milieu. Il n’y a plus de temps à perdre. La IVe Internationale, par son organe exécutif, doit ordonner à sa section française une réorientation complète et la section française doit faire acte de discipline. Il n’y a rien d’humiliant à obéir à la décision de son organisation internationale et je suis sûr qu’elle sera obéie.
Mes saluts les plus fraternels.
Note
[*] Il pourrait s'agir d'une coquille. Le contexte incite plutôt à lire "à la vôtre". (Note MIA)