1891 |
À propos d'un conflit franco-allemand possible. Source : marxists.org (US). Traduction par nos soins. |
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29 septembre 1891
Tu as raison ; si la guerre éclate, nous devons exiger l'armement général du peuple. Mais en liaison avec l'organisation existante ou spécialement préparée en cas de guerre. Il faut donc enrôler des éléments jusqu'ici non entraînés dans des réserves supplémentaires et des Landsturm, et surtout assurer une formation d'urgence immédiate, en plus de l'armement et de l'organisation en cadres fixes.
La proclamation aux Français devra être formulée sous une forme quelque peu différente. Les diplomates russes ne sont pas assez stupides pour provoquer une guerre face à l'Europe entière. Au contraire, les choses se passeront de telle sorte que soit la France apparaisse comme la partie provocatrice, soit comme l'un des pays de la Triple Alliance. La Russie a toujours des dizaines de casus belli [motifs de guerre] de ce genre sous la main ; la réponse concrète à y apporter dépend du prétexte de guerre invoqué. Quoi qu'il en soit, nous devons déclarer que, depuis 1871, nous avons toujours été disposés à une entente pacifique avec la France. Dès que notre parti arrivera au pouvoir, il ne pourra l'exercer que si l'Alsace-Lorraine décide librement de son avenir. Cependant, si la guerre nous est imposée, et de surcroît une guerre en alliance avec la Russie, nous devrons la considérer comme une atteinte à notre existence et nous défendre par tous les moyens, en utilisant toutes les positions à notre disposition, et donc Metz et Strasbourg également.
Quant à la conduite de la guerre elle-même, deux aspects sont immédiatement décisifs : la Russie est faible en attaque, mais forte en effectifs défensifs. Un coup de poignard au cœur est impossible. La France est forte en attaque, mais rendue inoffensive, inoffensive, après quelques défaites. Je ne donne pas grand-chose aux Autrichiens comme généraux ni aux Italiens comme soldats ; notre armée devra donc mener et soutenir l'offensive principale. La guerre devra commencer par la retenue des Russes, mais par la défaite des Français. Une fois l'offensive française neutralisée, les choses pourraient aller jusqu'à la conquête de la Pologne jusqu'à la Dvina et au Dniepr, mais guère avant. Cela doit se faire par des méthodes révolutionnaires et, si nécessaire, en cédant une partie de la Pologne prussienne et toute la Galicie à la Pologne à établir. Si tout se passe bien, une révolution suivra sans aucun doute en France. Parallèlement, nous devons insister pour qu'au moins Metz et la Lorraine soient offertes à la France en guise d'offrande de paix.
Cependant, les choses ne se passeront probablement pas si bien. Les Français ne se laisseront pas vaincre si facilement, leur armée est très bonne et mieux armée que la nôtre, et nos réalisations en matière de commandement ne semblent pas non plus avoir beaucoup de résultats. Que les Français aient appris à mobiliser a été démontré cet été. Ils disposent également de suffisamment d'officiers pour leur première armée de campagne, plus forte que la nôtre. Notre supériorité en officiers ne sera prouvée qu'avec les troupes déployées ultérieurement sur le front. De plus, la ligne directe entre Berlin et Paris est solidement défendue par des fortifications des deux côtés. En bref, dans le meilleur des cas, il s'agira probablement d'une guerre fluctuante, menée avec l'apport constant de renforts de chaque côté, jusqu'à l'épuisement de l'un des deux camps, ou jusqu'à l'intervention active de l'Angleterre. Celle-ci, par un simple blocus des importations de blé, peut, dans les conditions actuelles, affamer le camp qu'elle combattra, l'Allemagne ou la France, et le contraindre à la paix. En attendant, ce qui se passera à la frontière russe dépend principalement de la manière dont les Autrichiens mèneront la guerre et est donc incalculable.
Une chose me paraît certaine : si nous sommes vaincus, tous les obstacles au chauvinisme et à une guerre de revanche en Europe seront levés pour des années. Si nous sommes victorieux, notre parti accédera au pouvoir. La victoire de l'Allemagne est donc la victoire de la révolution, et si la guerre éclate, nous devons non seulement la désirer, mais la favoriser par tous les moyens.
Ce qui aurait dû être déclaré catégoriquement [par Bernstein], c'est que si la France représente formellement la révolution par rapport à l'Allemagne, l'Allemagne, par l'intermédiaire de son Parti ouvrier, se trouve matériellement à la tête de la révolution, et cela ne manquera pas de se révéler dans la guerre – où nous, et avec nous la révolution, serons soit écrasés, soit arrivés au pouvoir.
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