1891 |
Source : Marxists.org (US).
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... Je peux très bien croire que le mouvement aux États-Unis est à nouveau au plus bas. Là-bas, tout est sujet à de fortes fluctuations. Mais à chaque hausse, on gagne du terrain, et on progresse ainsi à long terme. Ainsi, la puissante poussée des Chevaliers du Travail [1] et le mouvement de grève de 1886 à 1888, malgré tous les revers, ont globalement fait avancer notre cause. L'état d'esprit des masses est désormais bien différent. On gagnera encore du terrain la prochaine fois. Mais le niveau de vie du travailleur amérindien est néanmoins considérablement plus élevé que celui du travailleur anglais, ce qui suffit à le reléguer au second plan pour un certain temps. À cela s'ajoutent la concurrence des émigrants et d'autres raisons. Le moment venu, les choses évolueront là-bas avec une rapidité et une énergie extraordinaires, mais cela pourrait prendre un certain temps. Les miracles ne se produisent nulle part. À cela s'ajoute la fâcheuse affaire des Allemands hautains qui veulent jouer à la fois les maîtres d'école et les commandants, et qui ont ainsi dissuadé les autochtones d'apprendre d'eux même les meilleures choses...
Die Entwicklung des Sozialismus [Socialisme utopique et socialisme scientifique] sera publié ici dans une traduction préparée par Aveling et éditée par moi-même (dans la collection Social de Sonnenschein). Face à cette traduction autorisée, l'édition pirate américaine [2], avec son anglais pitoyable, paraîtra plutôt inoffensive. De plus, elle est incomplète : tout ce qu'ils ont trouvé trop difficile, ils l'ont laissé de côté...
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Malgré la famine en Russie, le danger de guerre s'accroît. Les Russes veulent exploiter rapidement et complètement la nouvelle alliance française. Bien que je sois convaincu que la diplomatie russe ne souhaite pas la guerre, et que la famine la ridiculiserait, les tendances militaires et panslaves (maintenant soutenues par la très puissante bourgeoisie industrielle dans l'intérêt de marchés élargis) pourraient néanmoins prendre le dessus. Il est tout aussi probable qu'une bêtise soit perpétrée à Vienne, Berlin ou Paris, provoquant une guerre. Bebel et moi avons correspondu à ce sujet et nous sommes d'avis que si les Russes nous déclarent la guerre, les socialistes allemands devront se battre à outrance contre les Russes et leurs alliés, quels qu'ils soient. Si l'Allemagne est écrasée, nous le serons aussi. Dans le meilleur des cas, la lutte sera si violente que l'Allemagne ne pourra se maintenir que par des moyens révolutionnaires, de sorte que nous serons très probablement contraints d'accéder au pouvoir et de jouer le rôle de 1793. Bebel a prononcé à Berlin un discours à ce sujet qui a suscité un vif intérêt dans la presse française. Je vais essayer de l'expliquer aux Français dans leur langue, ce qui n'est pas facile. Mais même si je pense que ce serait un grand malheur si la guerre éclatait et si elle nous conduisait prématurément au pouvoir, il faut néanmoins être armé pour cette éventualité et je suis heureux d'avoir Bebel à mes côtés, qui est de loin le plus capable de nos compatriotes.
Notes
1 | L'Ordre des Chevaliers du Travail, fondé par des ouvriers américains à Philadelphie en 1869, était une société secrète jusqu'en 1878. L'Ordre était principalement composé d'ouvriers non qualifiés, dont de nombreux Noirs, et avait pour objectif la création de coopératives et l'organisation d'entraide. Cependant, ses dirigeants s'opposaient à la participation des ouvriers à la lutte politique et prônaient la collaboration de classes. En 1886, ils s'opposèrent à une grève nationale et interdirent à leurs membres d'y prendre part. Cependant, la base ne tint pas compte de ces injonctions. La politique opportuniste de ses dirigeants affaiblit l'influence de l'organisation qui se désintégra vers la fin des années 1890. |
2 | Engels fait référence à une traduction de de Leon et Vogt, publiée par le Parti Socialiste Ouvrier (Socialist Labour Party) d'Amérique. |