1915 |
Écrit en février 1915 au plus tôt. Source : Œuvres complètes, T. XXI. |
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Lénine
Sous un pavillon étranger
Introduction
Le premier numéro du Naché Diélo (Petrograd, janvier 1915) [1] a publié un article-programme très caractéristique de M. A. Potressov : « À la limite de deux époques. » Tout comme dans un article précédent du même auteur, paru dernièrement dans une revue, on y trouve exposées les idées fondamentales de tout un courant bourgeois de la pensée sociale en Russie, à savoir le courant liquidateur, sur des questions brûlantes de notre temps. À vrai dire, en l’occurrence, il ne s’agit pas d'articles, mais du manifeste d'une tendance bien précise, et quiconque les lira attentivement et réfléchira à leur contenu s'apercevra que seules des considérations fortuites, c'est-à-dire étrangères à des préoccupations purement stylistiques, ont empêché l'auteur (et ses amis, car il n'est pas seul) d'exposer ses idées sous la forme plus appropriée d'une déclaration ou d'un « credo » (profession de foi).
L'idée maîtresse de Potressov, c'est que la démocratie moderne se trouve à la limite de deux époques; et la différence fondamentale entre l'ancienne époque et la nouvelle, c’est que l'étroitesse nationale fait place à l'internationalisme. Par démocratie moderne, A. Potressov entend le type de démocratie de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, qu'il oppose à la démocratie ancienne, bourgeoise, caractéristique de la fin du XVIII° siècle et des deux premiers du XIX°.
Il pourrait sembler, au premier abord, que l'auteur a parfaitement raison, que c'est un adversaire de la tendance national-libérale qui règne actuellement au sein de la démocratie moderne, que nous sommes en présence d'un « internationaliste » et non d'un national-libéral.
En effet, prendre la défense de l'internationalisme, rapporter l'étroitesse nationale et l'exclusivisme national à une époque ancienne, révolue, n'est-ce pas briser résolument avec l'épidémie du national-libéralisme, cet ulcère de la démocratie moderne ou, plus exactement, de ses représentants officiels ?
Il est non seulement possible, mais presque inévitable, que cette impression s'impose au premier abord. Et pourtant, elle est profondément erronée. L'auteur fait passer sa marchandise sous un pavillon étranger, Consciemment ou non (peu importe en l'espèce), il a recouru à une petite ruse de guerre, en hissant le pavillon de l'« internationalisme » pour faire passer en contrebande, avec le minimum de risque, sa marchandise national-libérale. Car Potressov est incontestablement un national-libéral. Tout le fond de son article (ainsi que de son programme, de sa plate-forme, de son « credo » ), c'est précisément l'emploi de cette petite ruse de guerre, innocente si l'on veut, qui consiste à faire passer l'opportunisme sous le pavillon de l'internationalisme. Il importe de mettre en lumière ce trait fondamental jusqu'en ses moindres détails, car c’est là une question d'une portée considérable, absolument primordiale. Et l’utilisation d'un pavillon étranger par A. Potressov est d'autant plus dangereuse que celui-ci ne se camoufle pas seulement derrière le principe de l'« internationalisme » , mais aussi derrière le titre d’adepte de la « méthodologie marxiste » . Autrement dit, Potressov veut être un disciple et un représentant authentique du marxisme alors qu'en réalité il substitue au marxisme le national-libéralisme. A. Potressov veut « rectifier » Kautsky, en l'accusant de jouer les « avocats » , c’est-à-dire de défendre le libéralisme aux couleurs de telle ou telle nation, le libéralisme aux couleurs de diverses nations. A. Potressov veut opposer l'internationalisme et le marxisme au national-libéralisme (car il est absolument certain et indéniable que Kautsky est devenu aujourd'hui un national-libéral). Mais, en fait, Potressov oppose au national-libéralisme multicolore un national-libéralisme unicolore. Or, le marxisme est hostile – et ce, dans la situation historique concrète actuelle, sous tous les rapports – à tout national-libéralisme.
Qu'il en est bien ainsi, et pour quelles raisons, c'est ce que nous allons voir maintenant.
Références
| 1 | Naché Diélo : revue menchevique ; parut à Petrograd en 1915. |